Editions La Commune

Avant-propos de Tous ensemble

  

 


 

       AVANT-PROPOS

 

On trouvera ici quatre textes intitulés respectivement "Tous ensemble", "Eléments", "Des Seuils Tobin" et "Retraites, fonds ouvriers et logement social". Ils forment un tout théorique. Avec les autres textes rassemblés dans la deuxième partie (et ajoutés gratuitement aux premiers), ils forment un cycle, la modeste tentative d'inscrire au fur et à mesure une réflexion personnelle portant sur la théorie marxiste dans l'optique d'une authentique pratique théorique. Dans le contexte du néolibéralisme triomphant beaucoup ont vécu l'expérience de la "gauche plurielle" française comme un retour à d'authentiques valeurs de gauche malgré les contraintes et les reniements idéologiques ou réels, domestiques ou internationaux qui sans elle auraient inéluctablement poussé la gauche entière à se fourvoyer durablement dans le lit de Procuste des sempiternelles Troisièmes Voies grâce auxquelles on rêve toujours de remplacer Marx par des Rawls ou des Giddens et Jaurès par des Thatcher, voire par des Tony Blair! Avec le recul, un simple coup d'œil sur cette praxis permet de mesurer les espoirs, les déboires, les illusions et parfois les erreurs de jugement. Cependant la restitution certes incomplète de ce cycle historique pour la gauche à travers l'optique d'un simple militant pourra peut-être témoigner, ne serait-ce que très partiellement, de ce que représenta pour la majorité des citoyens cette coalition gouvernementale d'un type nouveau et initialement portée par un vaste mouvement populaire. Malgré un échec électoral aussi cruel qu'immérité, reconnaissons qu'elle portait en elle les germes d'un authentique réformisme révolutionnaire qui aurait pu donner toute sa mesure en obtenant la présidence de la République.

 

Les quatre premiers textes forment un tout fondamental alliant théorie et pratique théorique et ont été écrits dans la foulée des grandes manifestations ouvrières qui se sont déroulées en France en 1995 et 1996. Ils s'adressaient à l'origine à une audience française et italienne et plus largement européenne qui risquait de s'enliser dans l'usuelle routine de centre-gauche aux conséquences malheureusement si prévisibles. C'est pourquoi ils ont été intentionnellement rédigés sous la forme de pamphlets; étant donné le public auquel ils étaient destinés et l'impact recherché, il convenait que la forme et le style choisis fassent partie intégrante de la forme d'exposition. Il convenait aussi qu'ils soient courts et concis. Néanmoins, je crois qu'ils exhibent autant de recherche et d'originalité que l'on est d'ordinaire en droit d'exiger pour ce genre de contribution relevant d'une praxis sociale consciente de ses devoirs. J'ose espérer que vous en conviendrez et que leur valeur intrinsèque incitera certains d'entre vous à s'assimiler la matière ici traitée d'une manière critique et socialement utile.

 

 

Au minimum le faux problème de la transformation des valeurs en prix de production qui a inutilement fait tant de tort au marxisme et à la critique de l'économie politique est ici finalement dissipé. Pour le reste, remarquons que ni le marginalisme ni aucune autre théorie économique bourgeoise ne sont capables de répondre eux-mêmes à l'objection d'expressions valeur/prix ex-post/ex-ante qu'ils avaient cru, à tort, pouvoir lever contre Marx (lu par des Bohm-Bawerk ou des Tugan-Baranovsky et al.) pas plus qu'ils ne sont capables de proposer une véritable théorie de l'équilibre général conciliant concrètement et de manière crédible micro et macro-économie! Depuis la fuite de Cambridge USA devant la Cambridge UK de Sraffa/Robinson dans la polémique dite des "fonctions de production", ces théories prétendant à une hégémonie déguisée par des formules mathématiques le plus souvent creuses n'ont toujours rien trouvé de mieux pour résoudre ces contradictions mortelles que de les taire entièrement dans leurs pratiques et leurs enseignements (universitaires?) y compris en sélectionnant les candidats dociles destinés à être diplômés. En réalité Samir Amin voyait juste lorsqu'il dénonçait les théories brumeuses de l'économie bourgeoise cachant leur vacuité derrière un énorme appareillage statistique, d'ailleurs peu accessible au public car payant, souvent volontairement difficile à harmoniser (v. les critiques prescientes de Adret dès les années soixante et dix ) et tout juste bon à remplacer la compréhension théorique des phénomènes par de pragmatique "recettes de cuisine". Il est vrai que l'on ne perd rien en remplaçant les Samuelson* et autres Hicks par des Simon Kuznets et des JanTinbergen! Encore aurait-il fallu que ces indices et indicateurs statistiques reposassent sur un schéma crédible, sinon juste, de la reproduction économique d'ensemble, par exemple en développant les potentialités des Schémas de Reproduction de Marx/Boukharine. Or il est notoire que tous les théoriciens de l'équilibre général post-Walras n'ont plus cure de tenir compte du conseil que M. Auguste Walras donnait à son fil Léon au sujet du primat de l'économie sociale dans la détermination des paramètres considérés par la science économique (bourgeoise). En nous bornant ici à l'aspect méthodologique, disons que Auguste Walras avait tout simplement donné la leçon essentielle qui confronte tous ceux qui s'occupent d'équilibre général ou de macro-économie: un système d'équations inter-reliées sera toujours susceptible de fournir n solutions; le reste alors dépend en effet des paramètres socio-économiques que l'on veut bien adopter. Ce reste, quelqu'un comme Keynes avait compris que c'était, en fait, l'essentiel! Comment alors s'explique cette réticence persistante des économistes bourgeois à reconnaître l'essentiel? S'agit-il seulement d'œillères idéologiques? Sans nul doute mais ce n'est pas tout. S'ils s'acharnent à confondre le modèle pour la réalité ce n'est pas seulement parce qu'ils sont obnubilés par leur souci de maximisation (des profits plus que des salaires!) et qu'ils sont ainsi convaincus d'opposer les raisons de la science (voire les lois naturelles de l'économie) aux demandes anarchiques et mal informées d'une populace toujours susceptible de faire déraper leur bel agencement scientifique. En réalité, s'ils craignent tant le désordre que l'irruption du social pourrait provoquer dans leur science économique c'est que leur souci de méthodologie (partiel) cache une contradiction fondamentale de substance. Aucun théoricien de l'équilibre général jusqu'ici, à part Marx (et, je le crois, les schémas marxistes exposés ci-dessous) n'est capable de concilier la cohérence quantitative (quantité d'un même produit, Mp ou Cn, ou d'un produit similaire) et la cohérence qualitative (valeur) des schémas utilisés. C'est ce qui explique que leurs théories de la valeur restent aussi désespérément générales et éthérées. Pourquoi n'arrivent-ils jamais à produire du concret pensé dans leur discipline? Simplement parce qu'ils prétendent traiter la force du travail comme un "facteur de production" comme un autre. Or, on ne répétera jamais assez que si la force de travail apparaît bien à l'instar de toutes les autres marchandises à la fois sous le jour de la valeur d'usage et de la valeur d'échange, elle reste la seule qui puisse aussi être à la fois (et simultanément dans le cas de du capital variable v), du travail vivant et du travail passé, cristallisé. Or seul ce double caractère de la force de travail permet de résoudre la contradiction apparente entre dynamique économique quantitative et dynamique économique qualitative. Il y a dans cet aveuglement théorique volontaire, un bel exemple d'"objectivité scientifique" bourgeoise fondée exclusivement sur l'exclusion capitaliste de classe des objets d'étude et des sujets qui fâchent! Vous souvenez-vous d'un Samuelson décrétant qu'il en était de la Théorie Générale de Keynes comme du Fennegans Wake de James Joyce: ne disposant pas des idiomes qu'il faudrait, les deux ne lui ont jamais été accessibles sous aucune autre forme que celle de résumé. Ce que l'on appela d'ailleurs officiellement par la suite la "bâtardisation" de Keynes! C'est pire encore pour Marx puisque nombre "d'intellectuels" besogneux se sont donnés plus de mal pour le comprendre de travers et le triturer selon leurs propres intérêts de classe qu'il n'en aurait fallu pour le comprendre simplement dans ses propres termes. Ce qui n'empêche pas le néolibéralisme niais mais triomphant de prétendre aujourd'hui se débarrasser concrètement de la distinction entre secteur marchand et secteur public portant ainsi à son paroxysme sa manie pathologique de vouloir tout déréglementer, tout "libéraliser" et tout privatiser sous prétexte d'une "créativité destructrice" plagiée de travers d'un pauvre Schumpeter qui aurait pourtant du mal à croire que de telles inepties puissent réfuter durablement les logiques de la concentration/centralisation du capital toujours sous-jacentes mises à jour jadis par Marx. Aussi, pour le coup, même Schumpeter et Adam Smith en sont pour leur frais. Qui aurait pu prédire que la "fin de l'histoire" aurait cette fière allure-là? Et se mordrait la queue en faisant un énième tour à blanc dans la préhistoire humaine? Dans son exaltation anarchiste le camarade Bakounine prétendait que, pour dissiper toute la corruption culturelle bourgeoise accumulée depuis si longtemps, il aurait fallu plonger l'humanité dans un "bain d'ignorance" afin de laisser une nouvelle culture plus saine se développer sur un terreau neuf. S'il avait su ce que les tenants de la pensée libertaire conservatrice, tous ces von Hayek, Milton Friedman et autre Laffer étaient capables de mettre concrètement sous ces deux vocables, il aurait sans nul doute adopté plus aisément la prudence de classe conseillée par les marxistes et cherché dans l'épouvante une meilleure expression pour désigner le "regain de vigueur intellectuelle populaire" qu'il appelait de ses vœux et il se serait ingénié à adopter des moyens plus sûrs de l'atteindre.

 

Certains développements iraient de soi. En guise d'exemple, le poids des thèses développées dans ces essais serait plus facile à établir pour une plus large audience si les liens empiriques entre armée de réserve d'une part et "masse salariale réelle" et "masse salariale sociale" d'autre part étaient statistiquement illustrés. Rappelons-nous toutefois que Marx se plaignit de ce que certains se bornaient trop souvent à juger les livres à leur poids matériel! Le travail d'élucidation théorique conserve toute son importance. Les liens théoriques exposés ici devraient, dans un second temps, permettre de faire émerger une nouvelle conception quantitative de la monnaie et une meilleure compréhension du phénomène récent d'une inflation liée à une surproduction allant de pair avec la surconsommation des "self-contented classes" (i.e. J. Galbraith) et avec la sous- consommation de franges sans cesse croissantes de la population. Les choix concernant les politiques de redistribution nationales et globales en deviendront alors plus

 

 

 

transparents. De même, le concept de "structure de v", c'est-à-dire la structure des différents composants entrants dans la formation et la reproduction de la valeur de la force de travail élaborée dans mes textes, permet une reformulation plus cohérente et surtout plus concrète de la conception sraffienne de "produzione di merci a mezzo di merci", conception que Sraffa avait proposée comme un rappel à Marx tout en prenant le soin de ne conférer à sa propre conception qu'une valeur de "prolégomènes" à une critique achevée de l'économie politique. De plus, de telles recherches devraient ouvrir la voie à une appréhension concrète de la réalité sociale contemporaine en pleine mutation ainsi que j'essaie de le démontrer en avançant ma conception des "Seuils Tobin" et du rôle qu'ils pourraient jouer tant au plan interne que dans une réforme utile des organisations de l'ONU ou encore avec ma conception des retraites, des fonds ouvriers et du logement social. Au sein d'une économie capitaliste avancée et régulée en fonction d'une plus large redistribution sociale, les Seuils Tobin et les Fonds ouvriers constitueraient les seuls moyens de contenir la spéculation financière et les dommages qu'elle inflige aux économies réelles du fait de la généralisation du court terme américain à l'échelle de la planète. Ceci est d'autant plus vrai que la tentative de M. Oscar Lafontaine d'aboutir à un meilleur alignement des principales monnaies mondiales fut rejeté par des USA, pays continuant à fonder sa croissance largement factice et à crédit sur la politique du dollar fort et sur la manipulation de son statut de principale monnaie de réserve. Soulignons une fois encore ce que j'avais mis en lumière avec mon concept de "bulle spéculative permanente" au moment même où le sempiternel chorus patenté découvrait l'Eldorado, ou plus justement la Terre promise, dans une Nouvelle Economie définitivement abstraite des cycles économiques, pour ne pas dire libérée de l'ancienne logique prévalent dans l'économie matérielle dont la forme d'extraction de plus value devait être reléguée aux oubliettes en faveur de la création miraculeuse du profit dans des industries de services se reflétant dans l'enchantement (ou les hallucinations) des P/E (price/earning) ratios! Nul besoin de répéter avec Sraffa qu'un bien reste un produit auquel éventuellement l'on pourrait donner un "coup de pied". On se heurterait aux objections du "baconisme primaire" qui sévit avec force en matière économique ces jours-ci. Rappelons néanmoins qu'en regard de l'extraction de la plus value, biens et services partagent les mêmes qualités de "marchandises" créées par la force de travail instituée en collectif de travail que se soient les collectifs de travail manuel telles les chaînes de montage ou les "équipes" de travail et de recherche déjà correctement cernées par Louis Althusser. Il convient aussi de souligner que cette "bulle spéculative permanente" ne trouve pas son origine dans le caractère intrinsèque des secteurs high-tech, Internet ou Télécoms. Ce genre de réification de la réalité n'en représente au mieux que ses aspects épiphénoménaux, de surcroît perversement inversés. Cette spéculation permanente a son origine dans certains aspects spécifiques de la révolution reagano-volckérienne, en particulier la déréglementation outrée des quatre piliers traditionnels de la finance à l'échelle de la planète encore amplifiée par le surdéveloppement de la "monnaie électronique" (et des nouveaux instruments connus sous le terme générique anglais de "derivatives") et la politique fiscale régressive qui élimina tout bonnement une partie de la classe ouvrière des barèmes de l'impôt et révisa ceux-ci à la baisse en faveur des classes moyennes et supérieures qui étaient dès lors naturellement portées à investir ce surplus en bourse, dans des investissements souvent non-productifs. La privatisation des entreprises d'Etat ne fit qu'amplifier ce phénomène. Le court terme américain et sa généralisation firent le reste. Dans mon article "Les conséquences socio-économiques de Volcker, Reagan et Cie" j'avais dès le milieu des années 80, montré qu'une telle stratégie reagano-volckérienne ne pouvait en aucun cas user de ces moyens pour canaliser l'épargne (nationale mais avant tout internationale) vers des activités productives impliquant la mobilisation physique du capital pendant de long mois. Le reaganisme fit illusion par son rejet du "keynésianisme social" en faveur d'un "keynésianisme militaire" à outrance symbolisé par le programme connu sous le nom de "Guerre des étoiles" par lequel l'Etat non-interventionnisme américain versait des sommes record aux entreprises privées au prix d'un endettement externe et d'un déficit permanent des comptes courants. Dans ces conditions la spéculation, permanente car désormais inscrite dans tous les mécanismes fiscaux et financiers du pays, porta tout naturellement, sous Clinton et Greenspan, sur les secteurs dits de la Nouvelle Economie tout comme elle avait porté sous Reagan et Volcker sur les entreprises de la Silicon Valley, leurs ancêtres immédiats. Les anciennes industries et les anciens secteurs intermédiaires sont par définition des secteurs matures (au sens de François Perroux) leurs rendements étant donc contraints par leur nature. Seuls les nouveaux secteurs intermédiaires en passe d'être activement massifiés avec le généreux concours de l'Etat (toujours non-interventionniste!) pouvaient créer l'illusion de profits plus rapides. Les lumières de Wall Street et des institutions (financières et académiques) qui lui sont reliées firent le reste grâce notamment à une modification profonde de leur composition ethnique à partir des années quatre-vingt et de la naissance de ce que l'on appela par la suite "les démocrates reaganiens" et leurs camarillas connues (modification aussi mise en lumière par Peter Neuman au Nord du 49ème Parallèle; v. son livre comiquement intitulé Titans, au pays de Donald Smith/Strathcona!) Les comptables de Enron, WorldCom et compagnie ne sont pas des créations sui generis ou simplement frauduleuses, ils ont des antécédents spécifiques désormais oeuvrant au cœur du système américain. Par conséquent, ce ne sera ni l'emprisonnement de quelques "token accountants", ni une révision bâclée du traitement des stock-options et des "expenses" toujours conçues de manière spécifiquement américaine sans référence avec les critères plus sains des International Accounting Standards qui pourra assainir le système. Pas plus que les industries high-tech ne doivent, en soi, être décrétées appartenir à un "nouvel axe du mal" inventé par un texan frais émoulu d'un MBA obtenu grâce au nom de papa, sur les conseils de dieu sait quel écrivaillon mal-inspiré (au sens étymologique du terme) provenant du nord du 49ème Parallèle! Ce qui est en cause c'est la forme de redistribution sociale choisie et les formes d'extraction de la plus value (individuelle ou sociale) qui en découle. La forme néolibérale de redistribution sociale en faveur des nantis ne pourra qu'alimenter encore la "bulle spéculative permanente" qui persiste malgré l'énorme poids des dettes devant encore être épongées par la nouvelle économie. Elle colorera la sortie de crise du secteur par de nouvelles fusions rendues nécessaires par la surproduction et par des fluctuations boursières déclenchées par les fonds de pension et autres grands intermédiaires financiers en fonction des besoins (apparents) de leurs bilans trimestriels plus qu'en fonction d'une reprise économique stable, dans cette nouvelle mouture de la "tonte des coupons". En l'occurrence, un des problèmes intéressant qui se pose aux économistes aujourd'hui consiste à évaluer l'apport réel des nouveaux secteurs intermédiaires: avec un Dow Jones à 7500, Greenspan parla "d'exubérance irrationnelle" pour finalement suivre gentiment le pas, son indépendance monétaire étant peu puissance en l'absence de politiques économiques et fiscales cohérentes. L'apport net des nouveaux secteurs intermédiaires justifient-ils aujourd'hui un Dow Jones durablement au-dessus de 7500? Que disent les P/E ratios? Le message est clair mais il risque de se perdre dans la friture en provenance des mêmes instituions puisque aussi bien les conditions systémiques alimentant cette "bulle spéculative permanente" sont encore aggravées par le keynésianisme militaire de G.W. Bush et par les inepties néolibérales de M. Lawrence B. Lindsey. Les moutons boursiers comprendront vite qu'il ne leur sert à rien de prétendre penser. Ce qui ne devrait pas être le cas des gouvernements européens, chinois et plus largement de tous les gouvernements non anglo-saxons. Aussi faut-il craindre, non pas tant une supposée "déflation" à la japonaise, mais bien le laminage constant de la croissance véritable résultant des contradictions d'une société de la sur-production/sous-consommation chroniques réduisant sans cesse des franges plus nombreuses du prolétariat au chômage et à la précarité. Répression masquée par d'orwelliennes Homeland Security Agencies en guise de "pédagogie négative" à l'appui!      

 

 

Malgré la défaite de la "gauche plurielle" française aux élections présidentielles d'avril 2002, il conviendrait de rappeler que son irruption sur la scène politique, portée qu'elle était par un grand mouvement social, représenta la première remise en cause concrète du néolibéralisme dans ses formes thatchérienne et reaganienne. Si la gauche française peut imputer sa défaite aux élections présidentielles à sa prudence face à une savante contre-offensive du patronat, comme en témoignent les débats autour de la loi de modernisation sociale, il reste que l'orientation du Premier Ministre Jospin était plus à gauche et moins social-libérale que d'aucuns voudraient le prétendre aujourd'hui. En paraphrasant Albert Jacquard je dirais, pour ma part, que si la vitesse aurait pu connaître une certaine accélération, l'orientation générale était propre à réancrer durablement la social-démocratie et le socialisme européen à gauche. En fait, la gauche plurielle fut sans doute partiellement victime de son propre succès "psychologique" initial auprès des masses populaires, succès obtenu grâce aux 35 heures, à l'inscription du principe de la parité (1) dans la Constitution et à la baisse appréciable, quoique insuffisante, du taux chômage. Le redressement du financement des comptes de la Sécurité sociale (le fameux "trou de la Sécu"), la réforme des allocations familiales, la couverture maladie universelle ainsi qu'une amorce d'une politique nouvelle de la ville sont à mettre à son actif entre autres réformes peu visibles mais néanmoins bien intentionnée. Mais la gauche plurielle française restait isolée au sein d'une Union européenne dominée par une social-démocratie à l'ancienne fortement minée désormais par le thatchérisme blairien. Une victoire présidentielle aurait donné à la gauche plurielle des pouvoirs accrus, notamment au niveau européen, ce qui lui aurait alors permis de montrer ses vraies couleurs, par exemple en instaurant une épargne salariale strictement contrôlée par les salariés eux-mêmes. Cette épargne salariale organisée en fonds ouvriers porterait en effet la promesse d'une transformation durable des formes de propriété par d'autres moyens que ceux de la nationalisation classique. Pour autant, si les critiques rétrospectives sont aisées, je reconnais pour ma part que certaines positions exprimées dans les textes proposés ici, valables au moment où elles furent écrites, paraissaient timides à la fin de l'année 2001, témoignant ainsi avec brio du changement de perspective accompli grâce au gouvernement socialiste de Monsieur Jospin. Ainsi, l'ouverture du capital des entreprises publiques pouvait représenter une manière originale de sauver à la fois les entreprises publiques et les services publics qu'elles sont chargées de dispenser à la population dès lors que cette ouverture empêchait une privatisation pure et simple qui paraissait inévitable à la plupart et dès lors que ce faisant l'on préservait intacte la philosophie des services publics et leur maîtrise collective. Une telle ouverture du capital permettait aussi d'éviter certains conflits au niveau européen que le gouvernement de la gauche plurielle pouvait difficilement lever par lui-même puisque ne disposant pas des pouvoirs au niveau communautaire que seule la présidence de la République confère. Ceci dit, ce qui était vrai dans un contexte d'urgence en 1996/1997 l'était moins en 2001/2002 (malgré les décisions prises à Barcelone). Au demeurant, je n'ai jamais conçu cette ouverture du capital qu'à l'image d'une gestion "keynésienne" du bilan des entreprises publiques (v. Des Seuils Tobin, ci-dessous), les actions mises en circulation dans des circonstances données pouvant être rachetées, en tout ou en partie, lorsque ces circonstances ont changé. Ce qui compte avant tout, c'est le contrôle démocratique, donc public: Renault eut-elle été clairement sous contrôle public que Vilvorde eut représenté un tout autre symbole et une toute autre réalité. Néanmoins, les politiques ne se dessinent pas sur une page blanche. Monsieur Jospin, pour sa part, ne le savait que trop.

 

L'œuvre entreprise par la gauche plurielle reste une oeuvre à mener à bon terme à la lueur des critiques mises à jour par la défaite aux élections présidentielles. Rappelons pourtant que cette défaite est due moins au bilan réel de la gauche plurielle qu'à l'opération du mode de scrutin à deux tours dont la logique fut faussée par la multiplication des candidatures présidentielles à gauche et par la complaisance de certains électeurs de gauche qui pensaient pouvoir s'abstenir sans danger au premier tour. N'oublions pas qu'avec 2 % d'abstention en moins à gauche, "l'électrochoc" par lequel on vit M. Le Pen se qualifier pour le deuxième tour eut été épargné à Monsieur Jospin et à la France entière. Le pli confortable des habitudes opère parfois comme un bien étrange démiurge! Espérons que le sursaut qui se concrétisa dans l'exemplaire mobilisation populaire de l'entre-deux tour soit le présage de l'avenir destiné à la gauche, toujours forte lorsqu'elle agit "ensemble" malgré la dernière défaite aux élections législatives en partie prédéterminée par l'inversion du calendrier électoral et le départ précipité, mais prévisible, du Premier Ministre Jospin immédiatement après la défaite présidentielle.  

 

On aura remarqué que ce livre électronique est produit avec les moyens du bord ( je ne jouis plus de conditions optimum de travail depuis juin 1995 pour cause de discrimination intellectuelle et académique bourgeoise). En outre, j'estime qu'il vaut mieux s'exprimer dans ses propres termes que de voir ses concepts utilisés à mauvais escient, par incompréhension ou par calcul. L'initiative vise aussi à faciliter la tâche des critiques en leur offrant un texte dont je puisse assumer la responsabilité. Sauf indication contraire, à part quelques modifications mineures en particulier dans cet Avant-propos, ces textes furent écrits aux dates indiquées au bas de chaque article. Les modifications les plus graves portent sur la suppression forcée de certaines citations dont celles de Karl Marx: en effet, certaines maisons d'éditions ne savent pas répondre aux demandes d'autorisation avec la célérité qui s'imposerait en pareil cas ou bien elles font tout un plat d'un processus qui devrait n'être qu'un processus de routine d'autant plus que la créativité intellectuelle à peu à voir avec de pseudo-impératifs de la propriété privée ou encore avec des penchants corporatistes pour l'administrose.

 

Toute oeuvre authentiquement de gauche, que ce soit une grève bien menée comme celle des camionneurs français ou encore une oeuvre théorique, ne peut jamais être qu'une oeuvre collective, capable de vivre par la critique fraternelle de tous et de chacun. Cette contribution est donc dédiée à l'ensemble du "peuple de gauche".

 

 

                               Paul De Marco, ex-professeur de Relations Internationales

                               (Economie Politique Internationale).

                               Richmond Hill, 5 Juin 2002

 

Notes:

 

1) Le 25 mai 1997, alors que certains tenants du PS s'épuisaient déjà dans les arguties prévisibles reliées à la problématique des "quotas" par opposition à l'universalité, j'ai fait parvenir une lettre au PCF et au PS qui disait, entre autre, ceci: "Cette parité dans les instances décisionnelles les plus hautes ne peut qu'aider à atteindre les quotas et à favoriser leur dépassement". La suite montre que la remarque fut adéquatement comprise. J'ai, par la suite et à plusieurs occasions, clarifié le point fondamental suivant: la reproduction humaine étant une reproduction sexuée, la parité homme femme, loin de contredire les principes de l'universalité, lui donne sa signification pleine et entière. Le concept de "quota" fait de même en ce qui concerne l'égalité fondamentale entre individus humains mais pouvant appartenir à des "ethnies" différentes. La reconnaissance des différences ne nie en rien l'égalité des membres d'une seule et même espèce dépendant de la reproduction sexuée ni la prétention à l'universalité de leurs droits; plutôt ces différences naturelles en sont le véritable fondement. Elles sont aussi le gage fondamental de la survie de l'espèce en tant qu'espèce. Le comprendre c'est mettre un terme définitif à des arguties parfois trop intéressées. Ajoutons que les "quotas" ne remettraient en rien en cause l'égalité citoyenne qui relève de la société politique alors que les quotas relèvent pour leur part de la société civile et que ce n'est qu'au prix d'une meilleure égalité au sein de la société civile que l'égalité citoyenne pourra elle-même s'épanouir. On pourrait résumer simplement ainsi: pour que les droits soient universels l'accès aux moyens nécessaires à leur expression et à leur affirmation doit être égal pour tous. Marx disait dans La critique du programme de Gotha que la loi doit être inégale pour fonder l'égalité; on sait que nombreux sont ceux qui se sont ingéniés et s'ingénient encore à vouloir le comprendre de travers pour défendre leurs privilèges de groupes ou de classe.

* Disons à la décharge de M. Paul Samuelson qu'il a toujours su conserver une veine de "gentleman" même en discourant de l'importance de la chance dans la carrière des gens. Ainsi on l'a entendu affirmer que Piero Sraffa aurait bien mérité deux prix Nobel, le premier pour son oeuvre théorique, le second pour sa monumentale et exhaustive édition de l'œuvre de Ricardo. Et n'a-t-il pas affirmé récemment qu'une société plus égalitaire pouvait bien être une société plus sereine?in Is there a life after Nobel Coronation, 7 mai 2002, disponible sur le site www.nobel.se/economics)

 

 

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